Burkina Faso, Niger, Mali et Sénégal : quelles perspectives politiques dans ces pays du Sahel ?

Des indépendances à nos jours, l’Afrique de l’Ouest est le théâtre de guerres civiles meurtrières, de conflits et explosions de violence dont les origines s’inscrivent de manière plus ou moins directe dans la lutte pour la conquête ou la conservation du pouvoir. En ce sens, il ne serait pas faux d’affirmer que les causes de l’instabilité de l’Afrique et de la fragilité de ses Etats du seraient plutôt de nature politique. Pour s’en convaincre il suffit de dénombrer le nombre de coups d’Etat militaires perpétrés en Afrique de l’Ouest, au cours des dernières décennies, ou les changements non constitutionnels de gouvernement qui ont tous eu pour effet de perturber l’agencement institutionnel républicain et favoriser de fait la montée de la criminalité organisée.

En effet, s’il est aisé de constater que depuis la fin de la Guerre froide, dans leur grande majorité les pays africains ont progressivement ouvert leurs systèmes politiques, partagé et décentralisé davantage le pouvoir, des résistances aux alternances politiques sont encore observées dans certaines régions du continent comme le Sahel en général et des pays de la CEDEAO en particulier.

A cette résistance à l’approfondissement de la démocratie s’ajoutent d’autres défis que sont la montée de l’extrémisme, le trafic de drogue et de personnes et la piraterie pour ne citer que ces problèmes. La prégnance de ces menaces est telle qu’elles remettent en cause le fragile équilibre politique des Etats et annihile les acquis démocratiques engrangés depuis le sommet de la Baule. Mais la véritable équation dans ces pays à la population majoritairement juvénile demeure aujourd’hui les difficultés liées à l’intégration des jeunes dans la société, aux mouvements migratoires et aux déséquilibres sous-régionaux. Ce tableau demeure préoccupant. Pourtant, les études ont montré qu’une réforme profonde des modes de gouvernance permettrait de prendre en charge des problèmes.

D’après les spécialistes de politique publique, la gouvernance est un outil analytique qui permet d’étudier des situations dans lesquelles le lieu et la nature des autorités effectives et des pouvoirs de décision sont mouvants et incertains, décrivant alors un modèle d’action publique par interactions des acteurs privés et publics au-delà des appartenances territoriales. Dans cette logique, la Commission on Global Governance créée à l’instigation de Willy Brandt, dans son rapport, la définit comme « la somme des différentes façons dont les individus et les institutions, publics et privés, gèrent leurs affaires communes. C’est un processus continu de coopération et d’accommodement entre intérêts divers et conflictuels incluant les institutions officielles et les régimes dotés de pouvoirs exécutoires tout aussi bien que les arrangements informels sur lesquels les peuples et les institutions sont tombés d’accord ou qu’ils perçoivent être de leur intérêt». La notion de gouvernance telle qu’envisagée ici implique forcément celle de sécurité?

La sécurité est définie comme « l’absence de menace » selon (B. Buzan). De ce fait, la situation sécuritaire varie selon les Etats car, toutes choses égales par ailleurs, et abstraction faite des superpuissances, c’est dans ses voisins avec lesquels il partage une histoire qu’un Etat voit d’abord une menace ou non pour sa sécurité. D’où le concept de complexe de sécurité défini comme « un groupe d’Etats dont les soucis primordiaux de sécurité sont si étroitement liés que la sécurité d’aucun d’entre eux ne saurait être séparée de celles des autres ». Lato sensu, la sécurité inclut trois dimensions :

•            La sécurité politique qui concerne la stabilité institutionnelle des Etats, leurs systèmes de gouvernement et la légitimité de leurs idéologies ;

•            La sécurité économique qui est relative à l’accès aux ressources, marchés et finances nécessaires pour maintenir de façon durable des niveaux acceptables de bien-être et de pouvoir étatique ;

•            Et la sécurité sociétale définie comme « la durabilité, à l’intérieur de conditions acceptables d’évolution, des schémas traditionnels de langage et de culture ainsi que de l’identité et des pratiques nationales et religieuses ».

•            Dans cette logique, le référent de la sécurité n’est plus nécessairement l’Etat national car l’humanité tout entière est potentiellement sujet de sécurité ; ce sont tous les espaces qui sont ici convoqués, infra comme supra étatiques. La sécurité est une construction sociale dans la mesure où n’importe quelle question sociale est susceptible de devenir un enjeu de sécurité.

L’émergence de la notion de développement est concomitante de la naissance des politiques d’aide au développement après 1945. A partir des années 1950, le développement est ramené à sa dimension économique et assimilé à un processus de croissance économique accélérée visant à « rattraper le retard » des pays tiers monde sur les pays industrialisés. Le débat sur le développement est toutefois profondément renouvelé dans les années 1980-1990 par deux nouveaux concepts : le développement durable qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs, et le développement humain promu par le PNUD qui est un processus visant à élargir les possibilités offertes aux individus leurs permettant de bénéficier de conditions de santé, d’accès à l’éducation, à la connaissance et à des ressources qui les mettent à l’abri du dénuement et de la privatisation de ces droits.

Au regard des considérations générales sur les concepts définis ci dessus, il apparaît clairement qu’il y a un lien étroit entre la gouvernance, la stabilité politique et le développement. En effet, la réflexion sur la gouvernance a l’intérêt de poser de façon nouvelle les grandes questions de la vie politique (garantes de la stabilité politique), celles de la légitimité, de la représentation, de la construction des règles par une « corégulation » des acteurs publics et des acteurs privés. Et surtout elle implique dans cette quête de sens et de règles partagées à la fois par les acteurs sociaux (ONG, mouvements contestataires, universitaires, etc.) et les administrations concernées. « La sécurité et le développement sont deux objectifs importants. Il n’est cependant pas établi que sans développement il n’y ait pas de sécurité, ni que sans sécurité il n’y ait pas de développement. L’articulation sécurité développement dépend entre autres de la définition qu’on en donne, de la conceptualisation de cette interrelation et de son opérationnalisation. Ainsi, certains aspects de la sécurité et du développement peuvent être liés causalement de manière positive ou négative, coexister indépendamment les uns des autres ou alors être reliés indirectement par une dynamique causale complexe ». Mais la démocratisation a paradoxalement accru les violences électorales. On a assisté dans certains pays à l’instrumentalisation politique des thèmes identitaires. Cela traduit la difficulté d’asseoir la démocratie dans des systèmes qui regroupent de nombreuses ethnies. En Afrique de l’Ouest, les tentatives de manipulation et pièges tendant à accentuer les divisions n’ont pas pu prospérer ; on en a eu une belle illustration avec le Sénégal et le Burkina Faso. Mais la problématique de la démocratie en Afrique noire ne peut être comprise qu’en termes historiques dans la mesure où elle est perçue de la sorte par les Africains eux-mêmes et que sa mise en œuvre effective est conditionnée par des antécédents à savoir les racines coloniales de l’autoritarisme?

Les aspirations démocratiques qui ont émergé dans les années 1990 ont contribué à faire reculer progressivement les coups d’États militaires pour les remplacer par des élections qui sont devenues aujourd’hui le moyen le plus répandu par lequel le pouvoir se transmet dans la région. Paradoxalement, les violences électorales se sont intensifiées dans l’ensemble de la sous-région illustrant donc les nouveaux modes de concurrence politique, qui reposent sur l’instrumentalisation de facteurs identitaires à des fins politiques et la faiblesse des mécanismes de contrôle et de partage du pouvoir après les élections. Dans un tel contexte, la violence politique a pris un caractère particulièrement incendiaire au moment où le développement rapide des industries extractives, la faiblesse des institutions politiques, la montée de l’extrémisme violent, la trop lente réforme des secteurs de la sécurité et les problèmes de gestion foncière sont également sources de fragilité. La région du delta du fleuve Niger au Nigéria, riche en pétrole a été le théâtre de conflits et d’actes de violence causés par des différends liés aux recettes pétrolières. Les découvertes d’uranium et d’or au Niger et au Mali ont aussi entraîné des tensions. Dès lors, l’Afrique de l’ouest est perçue comme l’un des pôles mondiaux de la criminalité organisée, notamment la zone sahélienne. D’où la spécificité de l’équation posée aux pays du Sahel et de l’espace CEDEAO, en termes de stabilité et de performance à la fois politique et économique.

Toutefois, des pays comme le Burkina, le Mali, le Niger et le Sénégal constituent une sorte de laboratoire du devenir politique de tout le continent, à la fois par la concentration des défis dont il a été question dans les lignes précédentes et les différents processus de pacification et de résolution en cours dans chacun de ces espaces politiques. On est en présence d’Etats fragilisés à maints égards avec des perspectives politiques plus ou moins alambiquées nécessitant un engagement fort des acteurs.

Sources: Perspectives politiques dans les pays du Sahel, Gorée Institute 2020