Géopolitique du conflit casamançais : Périphéries de l’Etat du Sénégal et relations avec les Etats voisins de Gambie et de Guinée Bissau

Introduction

La Sénégambie méridionale qui englobe le Fouta Djallon et la Sierra-Leone, confrontée à l’instrumentalisation politique du fait ethnique, est agitée par de nombreux conflits, dont la crise casamançaise qui intéresse l’Etat du Sénégal. La Casamance est traversée, depuis1982, par des dynamiques récurrentes en Afrique de l’Ouest comme les désaffiliations, l’émergence de nouvelles solidarités, l’expansion des ethnismes. Comme les autres régions périphériques et du reste de l’hinterland, elle souffre de la mal gouvernance politique qui se surinvestit au profit de la côte centre-ouest. La naissance et la persistance d’un mouvement séparatiste dans les marches méridionales de l’Etatnation sénégalais, qui traduisent la conflictualité de son rapport avec cette région, se déclinent en termes d’effets boumerang de cette politique de développement inégal des territoires. Le levier de construction de la nation constitué par l’Etat est mis à rude épreuve. Le séparatisme casamançais, fonctionnant comme un accélérateur de cette fragilisation, se veut aussi un révélateur de la récurrence de la mésentente entre le Sénégal et ses voisins gambien et bissau-guinéen. Positionnés en seconde ligne avec l’internationalisation du conflit armé, ces derniers s’invitent dans la quête du règlement d’un conflit qui se déroule hors et dans du ressort territorial. L’art de faire la paix de l’Etat sénégalais est ainsi posé, particulièrement sa capacité à tirer profit des schèmes culturels pour résoudre un conflit trentenaire, repenser la construction nationale et sa diplomatie.

I- Des périphéries héritées

L’Etat colonial du Sénégal a rencontré beaucoup de difficultés pour exercer une domination efficace du colonisé. Le recours au relais maraboutique pour réussir son contrôle, au coeur du contrat social proposé par le colonisateur et dont l’efficacité est avérée dans les pays wolof, n’a fait que conforter le clivage et alimenter les velléités d’indocilité des colonisés des anciens pays de protectorat. Indocilité manifestée également en direction de l’élite politique des Quatre Communes (Saint-Louis, Gorée, Rufisque et Dakar) qui sont les fronts pionniers du système d’administration directe.

1- L’épreuve du séparatisme

L’un des défis à relever par les pouvoirs publics consiste en la mise en place d’une stratégie de lutte contre l’accentuation de la pauvreté des déplacés. Se trouvent particulièrement posées comme équations à résoudre de façon impérative l’’accessibilité de la ressource foncière, l’accès au marché du travail, la prise en charge du devenir scolaire des enfants en danger moral, etc. Plusieurs organisations du monde de l’humanitaire ont tenté de répondre à certaines attentes des déplacés et des réfugiés. Leurs actions renseignent sur les limites de l’intervention des pouvoirs publics en direction de migrants dont le dénombrement, la prise en charge par des intervenants du dehors, la médiatisation du martyre contribuent à écorner l’image de l’Etat jacobin, à éroder l’étendue de son pouvoir souverain, à faciliter l’adhésion au droit d’ingérence et à transformer une crise domestique en crise (sous)régionale.

2- Le spectre de la diplomatie de connivence

Un jeu de balancier semble rythmer les relations diplomatiques entre le Sénégal et ses voisins gambien et bissau-guinéen, interpellés inéluctablement par la résolution de la crise casamançaise, voire par la gestion

de l’après-guerre. En d’autres termes, la quête de la paix en Casamance intéresse et mobilise plusieurs acteurs, dont les visages, les champs, moyens et formes d’intervention sont variés.

En somme, retenons que la crise casamançaise, qui procède et se nourrit de la crise de croissance de l’Etat sénégalais, révèle une mauvaise gouvernance des régions frontalières. Le passage de l’Etat bureaucratique senghorien à l’Etat technocratique de Diouf puis au bonapartisme de Wade a fragilisé le levier conçu pour produire la nation sénégalaise, repenser le développement des territoires, produire l’enchantement du citoyen, etc. Cette fragilisation a été accentuée par le séparatisme casamançais, qui a réussi à transformer en crise sous-régionale un problème de << trouble intérieur ». La production extensive de l’Etat sénégalais n’a pas été facilitée par la hantise de la diplomatie de connivence prêtée à la Gambie et à la Guinée-Bissau. Pays dont l’investissement dans la résolution du conflit casamançais est jugé aussi indispensable que le recours à l’efficace des congères et aux vertus de l’interculturalité.

II- La géopolitique du conflit: relations avec les Etats de Gambie et de Guinée Bissau

La configuration géopolitique actuelle du conflit fait apparaître de nouvelles problématiques et de nouveaux enjeux. Et chercher à comprendre la géopolitique du conflit c’est entrevoir sa résolution. En effet, le Sénégal, la Gambie et la Guinée-Bissau forment un territoire de 244142 km2 de superficie, avec une population d’à peu près 16 millions d’habitants. Ils représentent trois aires linguistiques héritées de la colonisation : anglaise, française et portugaise. Si la Casamance naturelle est l’épicentre du conflit, ses frontières, dans sa dimension géopolitique, dépassent aujourd’hui largement le cadre retenu (Gambie, Guinée Bissau) du fait de l’implication de nombreux acteurs extérieurs à l’espace géographique concerné, soit dans le déroulement du conflit, soit dans la recherche de solution. Dans ce dernier cas, on peut rappeler, par exemple, l’implication des Etats-Unis, de la France et de la communauté italienne Sant ‘Egidio qui avait essuyé un échec en 1996 dans sa tentative de médiation. Beaucoup de gens se demandent ce que cachent l’implication et la multitude de ces peacemakers dans le conflit : collectif des députés, collectif des cadres casamançais, comité de coordination, coordination des organisations non gouvernementales, comité des sages, les messieurs et mesdames Casamance, etc. Les dernières révélations du Président d’alors Abdoulaye Wade montrent que le conflit nourrit bien des acteurs.

Il s’agirait « d’un marché de la paix qui cohabite en paix avec une économie de guerre ». Malgré la multiplicité de ces médiateurs, on peut parler de demi-échec ou de demi-succès puisque le conflit connaît tout de même une baisse d’intensité qui laisse augurer des lendemains de paix. A ce propos, il est indispensable de concevoir des indicateurs fiables permettant dire de manière « scientifique » si on avance, stagne ou recule dans la résolution du conflit.

L’espace qui nous occupe est communément appelé « Sénégambie méridionale » ; il présente une certaine particularité. En effet, en dépit de tout ce qui est entrepris pour le pacifier, il continue à être secoué par des crises régulières, et ce depuis plus de trente ans, en Casamance, en Gambie et en Guinée-Bissau. Pour comprendre ces tensions, il faut questionner cet espace afin de définir de manière conséquente les actions à y mener. La géopolitique du conflit dans l’espace sénégambien méridional doit forcément prendre en compte toutes les dynamiques transfrontalières qui s’y opèrent depuis des siècles. Parlant du conflit de Casamance.

En dépit des liens séculaires qui les caractérisent, les Etats gambien, bissau-guinéen et sénégalais sont souvent confrontés à des crises récurrentes. Ainsi que le fait remarquer une étude menée par Enda Diapol, l’histoire et la géographie de la Sénégambie méridionale sont caractérisées par une double dynamique d’unification et d’émiettement”. La pacification de cet espace passe par l’acceptation de certaines réalités historiques qui nous renseignent sur le fait que malgré les actions d’intégration parfois spontanée, parfois forcée, la Sénégambie méridionale a toujours vogué entre « hétérogénéité et homogénéité, ruptures et continuités, ajustements et disjonctions ».

1- Géopolitique du conflit : une histoire de géographie

Dans le conflit de Casamance, nous sommes au confluent de l’histoire, de la géographie politique et de la géopolitique. La géopolitique étant, Selon Michel Foucher, une méthode globale d’analyse géographique de situations socio-politiques concrètes envisagées en tant qu’elles sont localisées et des représentations habituelles qui les décrivent”, le conflit de Casamance est, à l’origine, géographique. En effet, c’est l’enclavement géographique de la région qui est le premier facteur explicatif de tous les maux qui vont

culminer avec le déclenchement de la rébellion, même si, au départ, le MFDC a voulu donner à sa lutte une justification historique.

2- Cadre conceptuel

L’étude géopolitique de la question casamançaise commande une clarification préalable des concepts. On entend tantôt parler de crise, de rébellion, de mouvement irrédentiste tantôt de conflit ou de guerre. Selon que l’on choisit l’un ou l’autre des termes ou des concepts, l’abordage n’est pas le même. Ainsi, il convient d’abord d’identifier très précisément le type de problème devant lequel nous nous trouvons. Au regard des définitions des concepts cités, et à la lumière des géopolitologues, on peut dire que le conflit de Casamance s’inscrit dans la catégorie des Conflits de faible intensité (CFI) ou Low Intensity Conflits (LIC). Il s’agit d’un conflit intraétatique. Toutefois, au fil des années, il s’est complexifié en prenant une dimension internationale avec l’implication des pays voisins. Sa géopolitique aussi a pris un nouveau visage.

3- Des stratégies et des jeux d’intérêt aux contours flous

Le conflit de Casamance, dans sa dimension géopolitique, fait apparaître des stratégies aux contours flous, dont les finalités sont faciles à deviner, et qui ont un double impact à la fois sur le conflit et sur les jeux de pouvoir au sein des Etats. Le conflit révèle de nombreux enjeux auxquels tous les acteurs ne sont pas indifférents : enjeux politiques (instabilité chronique de la Guinée-Bissau, pouvoir mégalomaniaque en Gambie), enjeux géopolitiques (règlement des différends transfrontaliers, capacité de nuisance mutuelle contrôlée), enjeux économiques (lutte d’influence pour le contrôle du marché de la Sénégambie), enjeux territoriaux (revendication par le MFDC de la région orientale), enjeux sociaux et sécuritaires (les migrations et déplacements de population, la question des mines).

4- Aux sources du conflit, l’accord fantôme

Parmi les éléments étant aux sources du conflit, on peut citer l’accord fantôme passé entre les fondateurs du MFDC historique (Emile Badiane, Ibou Diallo, Edouard Diatta) et le Bloc Démocratique Sénégalais (BDS) de Léopold Sédar Senghor, accord qui stipulerait qu’au bout d’un certain nombre d’années d’une commune volonté de vie commune, la Casamance serait fondée à demander sa séparation du reste du Sénégal. Un tel document, s’il existait, aurait comme conséquence d’établir que le Sénégal et la Casamance forment une fédération.

5- Une configuration géopolitique du Sénégal favorable au MFDC

Par ailleurs, la configuration politique du Sénégal était favorable au MFDC. En effet, au moment du déclenchement de la crise, le Sénégal était en conflit latent ou ouvert avec quasiment tous ses voisins immédiats : conflit avec la Gambie après l’éclatement de la Confédération Sénégambienne; conflit frontalier avec la Guinée-Bissau (sur la question du pétrole) ; même type de conflit avec la Mauritanie.

6- La géopolitique actuelle du conflit

Certaines hypothèses et considérations géopolitiques au démarrage du conflit demeurent toujours d’actualité, surtout en ce qui concerne la Gambie et la Guinée-Bissau. Nous nous limiterons à ces deux pays, puisqu’il s’agit d’examiner les relations du Sénégal avec ces voisins dans le cadre du conflit. Certains enjeux ont un impact sur les trois pays. Il s’agit du trafic de bois, du vol de bétail, du trafic de drogue et du trafic d’armes, avec plus ou moins d’ampleur selon le pays. Ainsi, le trafic de bois concerne surtout la Gambie tandis que le vol de bétail concerne plutôt la Guinée Bissau.

7- Le trafic de bois et de bétail

Afin d’apaiser la rébellion, le président Abdou Diouf et son gouvernement avaient jugé bon de concéder au MFDC le droit d’exploiter sans limite les forêts casamançaises. Or, cette autorisation permet aussi à la Gambie qui a mis en place une politique de protection de ses ressources forestières de se pourvoir en Casamance. Il s’y ajoute l’existence d’une filière chinoise de trafic de bois de Tek et de Venn à partir de la Gambie. Il va de soi que ce trafic ne peut se faire sans une complicité de hautes autorités aussi bien en Gambie qu’au Sénégal.

8- Le trafic de drogue

L’impact du trafic de drogue dans le conflit est considérable et l’enjeu est de taille. Nous sommes là en présence de l’élément essentiel constituant l’économie de guerre. Le trafic ne concerne pas seulement la drogue importée d’Amérique Latine, il concerne aussi celle produite localement, notamment au nord de la Casamance.

9- Le trafic d’armes

Les nombreux couloirs de circulation sont autant de sources d’approvisionnement potentielles pour le MFDC. De nombreux circuits sont identifiés: Libéria, Guinée, Guinée-Bissau, Gambie, certains villages de transit, etc. D’ailleurs, c’est de ce trafic que sont partis les événements de 1998 en Guinée-Bissau. L’interception au Nigéria de cargaisons d’armes en provenance d’Iran et à destination de la Gambie accrédite la thèse de la participation de la Gambie dans l’approvisionnement du MFDC en armes.

10- Relations avec la Gambie

Les relations entre le Sénégal et la Gambie sont un numéro perpétuel de « je t’aime, moi non plus ». La Gambie partage toutes ses frontières avec le Sénégal, notamment, au Sud, avec la région naturelle de Casamance. Elle représente, de l’avis des spécialistes, le « grand supermarché de l’Afrique de l’Ouest ». Le conflit de Casamance est, de ce fait, un marché juteux pour des trafiquants en tous genres. Géopolitiquement parlant, la séparation de la Casamance du Sénégal aurait un grand avantage pour la Gambie ; elle la libérerait de la situation inconfortable dans laquelle elle se trouve, c’est-à-dire engloutie à l’intérieur du Sénégal.

11- Relations avec la Guinée Bissau

Au moment du déclenchement du conflit, la Casamance était considérée comme un grand marché qui pouvait permettre à la Guinée-Bissau d’écouler son stock d’armes accumulées pendant la guerre de libération. Une hypothèse plus récente fait état d’un intérêt possible de la Guinée-Bissau à voir le conflit en Casamance se prolonger parce que les autorités politiques de la Guinée-Bissau n’ont jamais accepté le jugement rendu par le tribunal d’arbitrage de la cour internationale de justice sur le différend frontalier qui l’oppose au Sénégal, sur fond d’enjeu économique constitué par la présence de pétrole dans la zone litigeuse. La Casamance indépendante serait donc, alors, une meilleure garantie. Le soutien possible de la Guinée-Bissau apporté au MFDC était considéré aussi par nombre de géopolitologues comme une forme de reconnaissance pour l’aide que la Casamance lui a apportée dans sa lutte de libération du joug portugais. En effet, de nombreux Casamançais s’étaient enrôlés dans les rangs du Parti Africain de l’Indépendance de la Guinée et du Cap- Vert (PAIGC), et ce parti avait eu de nombreuses bases arrière à l’intérieur de la Casamance.

De nombreux ouvrages ont été publiés sur le conflit de Casamance et certains sont bien documentés. Ces ouvrages figurent dans la bibliographie. Nous avons fait le choix de ne pas ressasser des informations ou résultats de recherche déjà exposés ici et là, sauf s’ils sont sujets à caution. Nous nous sommes donc surtout consacré aux problématiques qui méritaient de l’être du fait de leur pertinence, et tenter ainsi d’actualiser les faits liés au conflit lorsqu’ils touchent à la géopolitique, objet de notre étude.

Le lecteur devra donc prendre en compte cet aspect spécifique de notre démarche et se référer aux ouvrages cités. Il y trouvera les compléments d’information dont il a besoin. Dans la bibliographie, nous avons cité les articles séparément même s’ils font partie d’un ouvrage collectif pour donner au lecteur plus de visibilité.

La géopolitique et les enjeux du conflit ont très tôt fait l’objet de recherche et de publication parce que, l’étude géopolitique de la question casamançaise est sans doute la clé de compréhension de la crise et le chemin par lequel il faut passer pour régler définitivement le conflit. Cette résolution passe par la prise en compte de tous les phénomènes directs et indirects induits par la crise, notamment dans sa dimension géopolitique internationale impliquant les Etats voisins de la Gambie et de la Guinée-Bissau. Si la géopolitique de la Casamance, autrement dit sa géographie, a été un facteur déclenchant et complexifiant du conflit, elle est aussi, sans doute, la solution.

Conclusion

Au terme de cette étude, force est de reconnaître que les conflits fonciers longtemps ignorés posent aujourd’hui de sérieux problèmes en termes sociologiques et économiques. Ils constituent un frein au développement dont la résolution s’avère être un enjeu du développement de la région. Le foncier est sans conteste le reflet des rapports sociaux. Les dimensions à la fois géographiques, sociologiques, anthropologiques, juridiques et politiques qu’il recouvre obligent aujourd’hui tout es les disciplines de recherche à se consulter pour mieux se compléter.

Les déplacements des familles suivent les fluctuations spatiales du conflit, des points de tension vers les villages ou villes les plus calmes. Les familles, dans les différentes stratégies de survie, vont préférer dans la mesure du possible, mobiliser la parentèle pour l’accueil. Ces déplacements créent des fragilités aussi bien pour les familles déplacées que pour les familles accueillantes. La prise en charge des personnes déplacées par les institutions internationales est rendue difficile à cause du vide juridique qui entoure cette catégorie de victimes des conflits. Même si elles sont plus nombreuses que les réfugiés, elles ne relèvent d’aucun mandat d’une institution internationale. Toutefois, avec la convention de Kampala du 23 octobre 2009, signée par le Sénégal le 12 juillet 2011, on devrait voir le renforcement de la protection des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays et des mécanismes de retour chez elles. Cette question du retour se pose avec acquitté. Elle semble devoir être minutieusement préparée et programmée en tenant compte du point de vue des premiers concernés. De plus, l’assistance sociopsychologique dont peuvent bénéficier les personnes déplacées pourrait valablement contribuer à restaurer les relations communautaires et aider à s’inscrire dans un processus de paix durable en Casamance. Les populations déplacées expriment globalement leur désir de contribution à l’élaboration des politiques publiques et à la consolidation de la paix dans la région. Ainsi, au regard de la situation actuelle, il y a bien des raisons pour rester optimiste, même s’il existe également des configurations qui démontrent que l’Afrique de l’Ouest continue d’être une région fragilisée et instable. Cette réserve peut se lire notamment avec la menace djihadiste et les revendications identitaires et politiques qui peuvent prendre la forme de révolutions.

La Guinée-Bissau et la Casamance ont les mêmes groupes ethniques et partagent les mêmes croyances. Cependant, chaque groupe ethnique étant autonome, ses membres ont mis en place une cohabitation qui se caractérise par le respect de la propriété et des lieux sacrés. Les limites qu’ils respectent ne prennent pas en compte les frontières officielles entre la Guinée-Bissau et le Sénégal. Selon les circonstances, les familles peuvent se rencontrer pour réaliser leurs cérémonies rituelles, les réunions familiales, etc. Ensuite, chaque groupe reprend son autonomie.

Le conflit en Casamance a été à l’origine de déplacements de populations aussi bien à l’intérieur du Sénégal que vers les pays limitrophes, montrant que la victime de déplacement peut être successivement catégorisé – quel que soit l’ordre -, d’un déplacé, d’un réfugié et au final d’un retourné. Ces situations ont été analysées en se référant spécifiquement au conflit en Casamance et montrent que l’entrée dans une catégorie relève de diverses considérations. Les déplacements ont mis à rude épreuve les acteurs que sont les populations accueillantes, les organisations internationales et les réfugiés eux-mêmes.

Perspectives

Ce diagnostic plutôt pessimiste n’empêche pas de reconnaître que depuis les années 2000, il y a un intérêt croissant des étudiants et jeunes chercheurs pour la Casamance à laquelle, ils consacrent leurs sujets de mémoires ou de thèses. Un capital s’est constitué depuis lors pour alimenter le débat public. Il appartient aux journalistes d’être proactifs et d’aller vers de nouvelles ressources qui proposent une certaine relecture de la question casamançaise. Il s’agit de rompre avec le conservatisme congénital des normes de la profession qui ne se sent en sécurité qu’avec les « voix autorisées », les « experts » dénommés « spécialistes de la question casamançaise », arrivés à saturation et qui ont du mal à renouveler leurs discours sur un conflit dont les données ne cessent d’évoluer. Il s’agit d’aller à la quête de ces « intellectuels invisibles », en train de produire des connaissances approfondies sur le conflit, dans le silence loin des lambris des plateaux de télévision. Concevoir un annuaire des auteurs et des publications sur la Casamance et le mettre à la disposition des médias faciliteraient l’accès des journalistes aux productions scientifiques qui les amèneraient à avoir une approche plus approfondie du traitement de l’information sur le conflit.

Source : « Conflit et paix en Casamance : Dynamiques locales et transfrontalières », Gorée Institute – Edition 2015