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Sierra Leone : les efforts de développement post-conflit minés par la persistance des pratiques de mal gouvernance

Le débordement brutal du conflit de Sierra Leone, le 23 mars 1991, a laissé derrière lui une vague de misère et de tragédies humaines. L’impact social, politique et économique du conflit a été dévastateur. La[1] guerre civile a pris fin après la signature de l’Accord de paix de Lomé en juillet 1999, qui a créé les conditions pour la tenue des élections présidentielle et législatives de mai 2002 et la progression ultérieure vers les processus de désarmement, démobilisation et réinsertion.

Dans le cadre plus large de la consolidation de la paix, les mécanismes de justice transitionnelle, à savoir la Commission Vérité et Réconciliation (CVR) et le Tribunal spécial pour la Sierra Leone, sous l’égide de l’ONU, ont été créés simultanément pour faire face aux violations des droits de l’Homme et aux injustices historiques passées. L’issue du Tribunal spécial soutenu par l’ONU a entraîné l’emprisonnement de ceux qui portaient la plus grande responsabilité dans la guerre, y compris l’ancien président du Libéria, Charles Taylor, qui purge actuellement une peine de 50 ans de prison en Europe. Dans le cadre des efforts de consolidation de la paix après les conflits et de la transformation démocratique, un programme de décentralisation a été accéléré. Il s’agissait là d’un jalon très important qui reliait la nature des défis en matière de gouvernance avec les droits de la personne, en donnant aux gens une confiance dans le nouveau système démocratique post-conflit.

Malgré les progrès réalisés au fil des ans dans la mise en œuvre des recommandations de la Commission Vérité et Réconciliation, la Sierra Leone continue de se heurter à certains problèmes de gouvernance connus antérieurement et qui étaient aussi l’une des causes profondes du conflit civil. Certains de ces défis comprennent : la pauvreté endémique, l’exclusion sociale des jeunes, la corruption, la mal gouvernance et la faiblesse des structures de la société civile. En d’autres termes, il semble donc que les pratiques de recherche de rente et la politique patrimoniale, qui figuraient parmi les questions latentes qui ont provoqué et accéléré le conflit, ne soient pas placées au premier rang des priorités des gouvernements post-conflit en Sierra Leone. Actuellement, il existe une désillusion et une méfiance généralisées parmi les principaux acteurs politiques. La plupart de ces lacunes et de ces défis ont été soulignés dans le rapport de la Commission Vérité et Réconciliation, et les recommandations n’ont pas encore été suffisamment prises en compte.

Jusqu’à présent, les gouvernements précédents et le gouvernement nouvellement réélu d’Ernest Bai Koroma ont mis en œuvre un certain nombre de programmes de réformes qui ont ouvert la voie aux investissements et au développement du secteur privé. Cela a augmenté les recettes publiques, encourageant ainsi l’expansion des services publics en créant la possibilité d’une croissance économique plus forte. Cela a été implicite dans l’évolution de l’investissement étranger, que beaucoup ont attribué à la découverte récente du pétrole et à l’afflux plus important d’investissements étrangers directs dans l’industrie extractive du pays. La tendance négative est que les plans prioritaires visant à encourager les investissements institutionnels et étrangers n’ont pas renforcé les autres priorités d’investissement public du gouvernement dans le pays.

Le Gouvernement a lancé un vaste programme de réforme du secteur public visant à rétablir l’efficacité de la fonction publique et à accroître sa capacité à assurer une prestation efficace des services par les institutions publiques. On pense que cela pourrait être réalisé en permettant à tous les ministères, départements et agences (MDA) d’aligner leur politique annuelle et leur plan de priorités sur le programme de développement national, tout en renforçant la capacité des acteurs étatiques respectifs à s’acquitter de leurs fonctions institutionnelles respectives.

La réalité est que les deux gouvernements post-conflit ont été en mesure de réaliser progressivement de nombreux objectifs de développement successivement, avant l’épidémie d’Ebola. Par exemple, le produit intérieur brut (PIB) a augmenté de 27 % en 2002 au lendemain immédiat de la guerre civile, suivi de 9 % en 2003 et d’un peu plus de 7 % en moyenne pour la période 2004-2007, avant de redescendre à 5,5 % en 2008 et à 4 % en 2009, en raison de la crise financière mondiale. En[2] outre, la croissance du PIB est passée de 5 % en 2010 à 5,7 % en 2011. On s’attendait à ce que ce taux augmente graduellement pour atteindre 6,2 % en 2012 et 2013, sous l’impulsion de la reprise dans le secteur minier.

Le rapport Doing Business 2012 de la Banque mondiale montre que la Sierra Leone a progressé de deux places dans son classement mondial global, passant du 143e au 141e rang en tant que lieu idéal pour faire des affaires entre 2011 et 2012. Selon le rapport, les classements « Création d’entreprise » et « Accès au crédit » ont néanmoins baissé respectivement de 13 et 10 places en 2012 par rapport à 2011. Les classements « Permis de construire » et « Protection des investisseurs » ont également reculé de 3 et 10 places, respectivement.[3]

Après les énormes progrès réalisés dans la mise en œuvre du Programme pour le changement (2007-2012), le gouvernement a entrepris la préparation du Programme pour la prospérité (2013-2018).[4] Ce programme a jeté les bases d’une vision plus déterminée qui devrait conduire le pays à obtenir le statut de Pays à revenu intermédiaire entre 2013 et 2035. Conformément à cette détermination, le gouvernement a travaillé sans relâche pour améliorer les moyens d’existence en multipliant les possibilités d’emploi, en augmentant les revenus et en dynamisant le secteur des affaires, se fixant ainsi un objectif de croissance annuelle du revenu national brut (RNB) par habitant de 4,8 % et de croissance annuelle totale du RNB de 6,7 %, pour atteindre le niveau moyen en 2035. Dès la découverte de réserves de pétrole en quantités exportables, les experts ont prédit que la croissance s’accélérerait d’ici la fin de la période de planification en 2018 et permettrait la réalisation de la vision avant 2035.

Malheureusement, l’épidémie d’Ebola a fait reculer le pays de plusieurs pas en arrière, ce qui a pesé lourdement sur le budget national en termes de pertes de recettes et de dépenses supplémentaires, et a généré un important déficit de la balance des paiements. Ce dernier est actuellement estimé à 110 millions de dollars, selon le ministre des Finances et de la Planification économique, M. Kerfalla Marah.[5] Il a en outre souligné que le budget national est également confronté à une pression énorme en raison des pertes de recettes, estimées à 45,7 millions d’USD au second semestre de l’année, et des dépenses supplémentaires d’environ 36 millions d’USD, ce qui porte les besoins budgétaires liés à Ebola à presque 82 millions d’USD.[6]

 


[1] I. Abdullah, “Bush path to destruction: the origin and character of the Revolutionary United Front (RUF/SL)” Africa Development 22 (3/4) 45-76. Numéro spécial : « Lumpen Culture and Political Violence : the Sierra Leone Civil War. » (1997).

[2] « Sierra Leone, Perspectives de développement de l’Afrique 2012 », BAD, OCDE, PNUD, CEA (www.africandevelopmentoutlook)

[3] Ibid.

[4] Sierra Leone Third Poverty Reduction Strategy “Agenda for Prosperity: A Roadmap to Middle Income Country 2013-2017”.

[5] Sierra Leone et le FMI: A letter of Intent and Technical Memorandum of Understanding: 17 septembre 2014.

[6] Ibid.

 

 

Source: “Etat de la démocratie et des droits de l’homme en Afrique de l’Ouest”, Gorée Institute 2020